Dix-sept murs &
une fenêtre
Chacun chez soi et loin des espaces qui nous permettent de s’exprimer. Nous avons donc créé cet espace virtuel dans lequel plusieurs artistes sont exposés. Des artistes qui ne se seront peut-être jamais rencontrés hors de ce lieu d’exposition qui n’est que virtuel. Nous voulions trouver un moyen de continuer à promouvoir le travail des artistes, mais sous un autre angle, et utiliser cet isolement pour imaginer de nouvelles formes de création.
As everyone is at home and far from spaces that allow
us to express ourselves, we created this virtual space in which several artists will be exhibited— artists who may have never met outside of this virtual exhibition space. We wanted to find a way to continue to promote artists’ work from a new perspective using this isolation to imagine new forms of creation.
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Du je au nous …
Alors que sont inaccessibles tous les lieux publics où se fait, directement, l’expérience de l’art, il faut saisir l’occasion de nous interroger sur ce dont celle-ci est faite et sur ce qu’elle nous fait. En attaquant la question par le creux, soit par ce dont on vient à manquer quand on en est privé, on atteint vite l’os, soit ce qui s’y tient d’indispensable et d’irremplaçable.
D’abord, il y a le rendez-vous – toute œuvre est une rencontre, avec ce qu’elle implique d’anticipation et d’imprévisible, avec cette façon qu’elle a, indélébile parfois, de marquer le cours du temps ; il y a la mise en mouvement vers, qui implique nécessairement l’autre, qui ne peut être unilatérale et qui est le premier moment de l’émotion, quelle qu’elle soit.
Et puis vient le face à face, attendu et surprenant, qui nécessite d’ajuster les conditions de l’échange – un effort donc – , des conditions toujours spécifiques, en termes de positionnement, de distance, de mobilité, d’action ou de retrait, de degré de participation, d’engagement physique, psychique (évidemment), imaginaire (souvent), identitaire, politique (pourquoi pas ?, directement ou non). Bref, il faut, en définitive, s’accorder. Et ce qui est en jeu, dans cette forme de négociation et de reconnaissance, n’est rien moins qu’un partage, une co-présence, une occasion précieuse d’attention ; elle engage notre manière d’être au monde et nous encourage à y prendre notre place, en conscience.
MAIS MOI JE TE VOIS : comment ne pas se sentir interpelé, concerné, par cet énoncé lu sur un tableau de Rémy Zaugg. Et il vaut, en sous-main, pour toute œuvre, qui non seulement pose la question du voir (les cadres, les écrans, les transparences et les recouvrements, les mises au point et les interférences, les jeux de miroir, de projection et d’identification), mais qui surtout, par là, nous regarde – en tant qu’individu sentant, agissant et pensant, en tant que sujet, en tant que citoyen, totalement donc. En toute circonstance et quelque forme qu’elle prenne, l’expérience de l’art est aussi paradoxale qu’essentielle : parce que, à plus ou moins grande distance (spatiale, temporelle, technique aussi), il vise à établir le contact, à nous toucher, qu’il nous rétablisse en nous-même ou nous ébranle en profondeur ; parce que, tout en étant foncièrement de l’ordre de l’intime, il n’en est pas moins ce qui nous relie, ce qui nous rassemble autour de l’émotion et de la quête de sens, ce qui nous aide à voir ce qui est et nous met sur la voie de ce qui pourrait être, ce par quoi, même isolé, il devient possible d’envisager un nous.
From ‘I’ to ‘We’…
While all public places in which art is directly experienced are inaccessible, we must seize this opportunity to ask ourselves what art experiences consist of and what they does to us. By tackling the question indirectly– which is to say by what we come to lack when we are deprived of it– we quickly arrive at the bone– which is to say what is indispensable and irreplaceable there.
First, there is the meeting. Every piece is an encounter with what it implies of anticipation and unpredictability and the way it marks the course of time, sometimes permanently. There is the setting in motion towards something– something which implies the other– which cannot be unilateral, and which is the first moment of emotion, whatever that may be.
Then comes the face-to-face – expected yet surprising– which requires adjusting to the conditions of the exchange– therefore, an effort– conditions that are always specific, in terms of positioning: distance, mobility, action or withdrawal, degree of participation, physical, psychic (obviously), imaginary (often), identity, political commitment (why not? whether its directly or not). In short, we must agree in the end. What is at stake in this form of negotiation and recognition is nothing less than sharing, a co-presence, a precious opportunity for attention. It engages our way of being in the world and encourages us to take our place in it, in consciousness.
BUT I CAN SEE YOU. How does one not feel challenged or concerned by this statement read on a painting by Rémy Zaugg? In a discrete way, this applies to any artwork as this painting not only raises the question of seeing (frames, screens, transparencies and veiling, focus and interference, the play of mirrors, projection and identification), but it above all looks at us fully as individuals feeling, acting and thinking, as subjects, as citizens. In any circumstance and form that the art experience takes on, it is as paradoxical as it is essential because, at a greater or lesser distance (spatial, temporal, technical, too), it aims to establish contact, to touch us, whether it re-establishes us in ourselves or profoundly shakes us; because, while being fundamentally intimate, it is no less what connects us, what brings us together around emotion and the quest for meaning, what helps us see what is and puts us on the path to what could be, and that even isolated, it becomes possible to envisage a ‘we’.
Guitemie Maldonado
Historienne de l'art et critique
Lu par Benoît Allemane
Guitemie Maldonado
Art historian and critic